MOINS 2 : une fable contemporaine cynique, drôle, émouvante. A l’heure du bilan : Qu’avons-nous fait de nos vies ?

28/11/2015

Créée en 2005 au Théâtre Hébertot, avec Jean-Louis Trintignant et Roger Dumas ; le Théâtre a de nouveau accueilli la pièce jusqu'au 06 décembre (dernière irrévocable). Pour cette nouvelle création de Moins 2, Guy Bedos et Philippe Magnan ont respectivement repris le rôle de Paul Blanchot et Jules Tourtin, avec toute la fantaisie qui les caractérise.

Pour cette nouvelle création 2015, la mise en scène a été minutieusement réalisée par le talent de Samuel Benchetrit . La sobriété du décor, les jeux de lumière, offrant la possibilité de moduler les ambiances (changement de décor à vue) d'une scène à l'autre, l'alchimie évidente entre Guy Bedos, Philippe Magnan, Manuel Durand et Audrey Looten participent à la qualité et au succès de la pièce. Le public a l'impression de voir se dérouler sous ses yeux un monde onirique. La seule faiblesse de la pièce pourrait être son rythme. Mais l'interprétation, la mise en scène, l'écriture de la pièce sont tellement excellentes, qu'on lui pardonne son manque de rythme.

Moins 2 relate l'histoire de deux hommes aux cheveux blancs qui se réveillent au service réanimation d'un hôpital. Ils se connaissent que depuis quelques instants. Le diagnostic des médecins tombe : le cancer du rein de l'un et le cancer du poumon de l'autre ; ne leur laisse respectivement qu'une et deux semaines à vivre. Tout deux décident alors de fuguer, de fuir la mort. Ils commencent à faire du stop, en pyjama et en charentaises. Ce n'est pas commun, me direz-vous, mais rien ne les arrête. Une aventure empreinte de folie et d'émotions va se dérouler sous nos yeux. C'est la rencontre avec une jeune femme enceinte, sur le point d'accoucher, abandonnée par son compagnon qui va être le fil conducteur de leurs péripéties nocturnes. Jules et Paul vont alors partir à la recherche de ce père inconséquent. Au cours de ces péripéties faites de rencontres surprenantes (l'Homme du Canal, ils vont courtiser des jeunes femmes en discothèque, Paul va retrouver sa fille) ; nos deux protagonistes vont : se aller aux confidences, se raconter et faire le bilan de leur vie, faire la paix avec eux-mêmes et avec les autres. Ils vont s'interroger sur la vie, la mort, l'amour, la solitude et la difficulté d'être père. Ces pères qu'ils n'ont pas été. Ils vont découvrir la fraternité, le partage. Au fur et à mesure de leurs échanges, les fêlures du passé vont resurgir. Au terme de leur aventure, alors que rien ne les prédestinait à se rencontrer, Paul, vieil homme bougon mais touchant et Jules, un brin optimiste, le bras toujours relié à sa perfusion ("on ne sait jamais, le traitement peut fonctionner") vont sceller leur belle amitié.

Samuel Benchetrit, avec moins 2, signe une tragi-comédie à la fois drôle, cynique parfois, mais aussi très poignante. Mais, Moins 2, c'est aussi une fable contemporaine, car elle est à la fois, lyrique, poétique et philosophique. C'est là où réside le génie de l'écriture de Samuel Benchetrit. L'auteur nous entraîne dans sa vision de l'âme humaine. Il pose, ici, avec clairvoyance, des questions sur la condition de la vie humaine, avec une infinie tendresse et humour. Le texte traite de thèmes universels universels, tels que : la fin de vie, la paternité et ses difficultés, l'amour, la vie. Autant de thèmes qui font écho en chacun d'entre nous.

Guy Bedos et Philippe Magnan incarne un duo d'acteurs irrésistible. Ce duo, fonctionnant à merveille, pourrait renvoyer au duo de clowns tristes qui officient dans les cirques. L eur interprétation est : sans fioritures, d'une justesse et d'un naturel incroyable. Leurs personnages sont à la fois : fragiles et cruels dans leurs propos.Jules Tourtin, le personnage qu'interprète Philippe Magnan, apparaît comme un être attachant, doté d'une grande sensibilité et profondeur d'esprit. Dans l'interprétation du personnage de Paul, nous retrouvons un Guy Bedos, un peu ronchon, bougon qui se révèle être un vrai tendre. Les seconds rôles, eux aussi, ne sont pas en reste. Incarnant plusieurs rôles différents dans la pièce ; Manuel Durand est à la fois touchant, attachant et charmeur et nous livre une interprétation tout en finesse. Audrey Looten, quant à elle ; est juste drôle et lumineuse. C'est une magnifique présence sur scène. Manuel Durand et Audrey Looten, deux comédiens au talent indéniable et à l'avenir à prometteur. Talents à suivre...

L'atmosphère de la pièce aurait pu être lourde, oppressante. Mais, il en est rien. Moins 2 est une tragi-comédie, une fable contemporaine qui nous fait passer du rire au larmes. On ne ressort pas tristes de la pièce. Le duo comique formé par Guy Bedos et Philippe Magnan apporte son lot de situations cocasses et d'émotions. Dès le début de la pièce, on se prend d'affection pour ces deux personnages, un peu goguenards ; aux portes de l'au-delà ; qui vont découvrir la fraternité et revivre leur jeunesse. Les thèmes sont abordés avec tant de force, humour et émotion ; qu'on se laisse très vite emporté par la pièce. Samuel Benchetrit, par l'entremise de : la tristesse, l'humour et de situations burlesques ; a réussi le pari de nous faire passer du rire aux larmes, sur un sujet si sérieux qu'est la mort. Mais, en définitive, le vrai sujet de la pièce ; ne serait-il pas "la vie et toute sa beauté"?

Rencontre avec Manuel Durand : un comédien généreux, passionné et une valeur sûre de la scène théâtrale.

Nathalie Guimier : Bonsoir Manuel. Merci de nous recevoir pour la pièce Moins 2 de Samuel Benchetrit.

Manuel Durand : Mais je vous en prie.

N. G. : Vous êtes auteur, comédien, metteur en scène. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?

M. D. : J'ai un parcours classique. Après une année de Fac à Lyon, j'ai été reçu dans une école d'acteurs : l' E. R. A. C. à Cannes. C'était, il y'a une bonne vingtaine d'années. En sortant de là, j'ai travaillé avec le metteur en scène Claude Régy. Puis, avec différentes compagnies pour des créations collectives, j'ai construit, au coup pour coup, mon parcours de comédien.

N. G. : Dans la pièce, vous incarnez plusieurs personnages, on va dire un peu hauts en couleurs ; avec des traits de caractères différents. Comment les avez-vous travaillés ?

M. D. : Il faut savoir, qu'il y'a dix ans, je faisais déjà parti de la première distribution. Il était pour moi assez naturel de revenir à l'écriture de Samuel Benchetrit. Surtout qu'entre temps, je me suis mis moi-même à écrire. Je crois savoir mieux lire et appréhender une pièce aujourd'hui. Je me suis senti à l'aise tout de suite. C'était presque naturel pour moi, une évidence son écriture. Je me sens des points communs avec Samuel. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien, qu'on se soit retrouvé, et qu'on se retrouvera à nouveau encore. Cette forme de poésie, cette chose douce que je partage. Donc, çà s'est fait un peu malgré moi, sans avoir cherché à me souvenir de ce que j'avais pu faire il y'a dix ans. La grande peur de Guy Bedos, c'était que je lui dise : "Ah! tu sais, Trintignant faisait autrement". Mais, aucune crainte de ce côté-là. J'ai vécu ces répétitions comme s'il s'agissait une nouvelle création.

N. G. : Dans la pièce, un des personnages que vous interprétez, va être papa. Il se pose la question de la paternité, un des thèmes de la pièce. Comment qualifieriez-vous ce personnage ?

M. D. : Vous voulez parler de l'Homme du Canal ?

N. G. : Oui.

M. D. : Il ne va pas être papa. On croît qu'il va l'être. Mais non. En fin de compte, c'est quelqu'un qui profite de l'occasion qui lui ai donné de renouer avec la vie. Il y'a un malentendu avec les personnages de Guy Bedos et Philippe Magnan. Tous deux pensent qu'ils sont tombés sur le mec de la nana et essaient de "lui vendre" la jeune femme enceinte et délaissée, interprétée par Audrey Looten. L'Homme du Canal est un dépressif mélancolique. Il saute sur l'occasion. Il se dit que c'est une nouvelle chance qui s'offre à lui et qu'il faut la saisir.

N. G. : J'aime beaucoup la réplique : "On est toujours la mélancolie de quelqu'un".

M. D. : Elle est jolie cette phrase. Très belle. Samuel en a plein des phrases comme celles-ci. Dans son dernier film Asphalte, on retrouve cette poésie.

N. G. : Comment vous est parvenue la pièce ? Quel a été l'élément déclencheur qui vous a fait accepter de travailler sur le projet ?

M. D. : C'est par amitié pour Samuel. Quand il m'a proposé la pièce. Il m'a dit qu'il comprendrait très bien que je refuse. L'ayant déjà joué. Je lui ai répondu que çà me plaisait de le retrouver. Je ne pensais pas d'ailleurs que la pièce me plairait à nouveau autant. Sans doute aussi parce que j'ai créé ma compagnie aujourd' hui et que l'attente n'est plus la même.

N. G. : Qu'est-ce qui vous plaît dans l'écriture de Samuel Benchetrit ?

M. D. : Et bien comme je vous ai dit : sa poésie, son humanité, sa tendresse. Mais, parfois, aussi son côté tranchante, radicale. Elle peut être empreinte de misogynie, juste pour faire rire. Une écriture somme toute assez libre, inattendue et drôle, très drôle.

N. G. : Donner la réplique à des grands comédiens, on peut dire des "monstres sacrés" du cinéma et du théâtre, comme Guy Bedos et Philippe Magnan, doit être stimulant. Cela doit être un réel plaisir ?

M. D. : Oui. Je trouve cela assez facile même si pour moi ce sont avant tout des acteurs. Avec eux, il n'y a pas de recherche de naturel ou de justesse. Ils respirent le texte de manière évidente. C'est une écriture qui demande cela.

N. G. : On ressent dans la pièce, que vous prenez beaucoup de plaisir à jouer ensemble, tous les quatre. C'est incroyable ! Justement. Pour parler d'Audrey. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre partenaire ?

M. D. : Je ne connais pas trop son parcours. Je sais qu'elle débute au théâtre. Jusqu'à maintenant, elle a fait de l'image. Je pense qu'elle va faire beaucoup de théâtre. En tout cas, je le lui souhaite car elle est douée. Elle est inventive, drôle et a beaucoup de plaisir à jouer sur scène. C'est très agréable de jouer avec elle.

N. G. : Comment se sont déroulées les séances de répétitions, de travail ? J'imagine que la mélancolie n'était pas de mise, mais avec rigueur et sérieux ?

M. D. : Oui. Samuel ne dit pas beaucoup de choses. Il n'en a pas besoin. C'est vraiment très intéressant. Le mot juste est important. Il ne faut pas trop noyer l'acteur, d'indications. Samuel a compris cela avec l'expérience. Il a compris que Guy Bedos était de ceux-là. Guy était dans le désir, le plaisir de jouer et dans l'apprentissage de son texte : il avait le souci de se rappeler de tout. On a eu un long temps de répétitions mais avec des séances de travail assez courtes pour conserver l'énergie.

N. G. : En allant voir la pièce, on s'attend à se voir dérouler sous nos yeux, une pièce tragique. Mais il en est rien. C'est là où réside l'inattendu, l'originalité de Samuel. La pièce traite de thèmes universels comme la fin de vie, le bouleversement de la paternité mais en fait sous l'angle tragi-comique. Peut-on dire que Moins 2 est une pièce tragi-comique ? Qu'en pensez-vous ?

M. D. : On se débarrasse très vite de l'aspect tragique. Le diagnostic est révélé : ils vont mourir. Qu'est-ce qu'on va faire de cela ? Les regarder agonir ? Les personnages de Guy Bedos et Philippe Magnan ont donc fait le choix de partir, de quitter l' hôpital. Ils ne se sont pas choisis mais vont petit à petit se rejoindre. Ils vont être tour à tour le psy de l'autre et pouvoir oublier un temps, l'inéluctable. C'est çà qui est joli. Dans la pièce, il n'est question que de la vie, pas de la mort. Que de la beauté de la vie, de sa préciosité. Le personnage de Guy retrouve sa fille. Il a ce bonheur à la toute fin de son existence. Bien sûr, les circonstances de ces retrouvailles sont improbables. Mais, on s'en fiche. Parce qu'au théâtre, on peut tout faire. Pas besoin que ce soit réaliste. Mais, qu'on ait une impression de réalité. Oui.

N. G. : Ma dernière question. Quels sont vos projets ? Que peut-on vous souhaiter pour les années à venir ?

M. D. : Comme je l'ai dit, tout à l'heure. J'ai créé ma compagnie. Je me suis mis à écrire. Je suis un acteur qui écrit. Petit à petit, les feux sont passés naturellement au vert. Après une première commande d'écriture, cela m'est apparu naturel de foncer dans la création de ma compagnie. J'ai réuni deux acteurs amis que je connaissais et leur ai demandé de me présenter d'autres acteurs, actrices. J'ai écrit pour toutes ces personnes. On se voyait une fois par mois au Théâtre de Clichy. La pièce est écrite aujourd'hui. La compagnie est créée. Je suis en train de démarcher les subventions, de voir avec les Directeurs de Théâtres ; quand on pourrait jouer çà. Peut-être une présentation au Printemps ? Une programmation de toute évidence la saison prochaine. La compagnie sera alimentée par mes pièces. Je suis déjà en train d'écrire une autre pièce pour un autre acteur et vais aussi faire travailler des comédiens amateurs dans le cadre d'un atelier. Cela se met en place. Je suis très content. C'est très excitant. Il y'a un site que j'ai mis en ligne qui est une base de travail : www.lacompagniepourledire.com. Pour moi, l'important, c'est créer, inventer des choses à partir de rien ; en oubliant un peu ce que je sais ou crois savoir. Etre et faire avec les autres. Sur le site de ma compagnie, je fais référence à l'artiste Pierre Soulages qui dit : "C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche".

N. G. : On ressent chez vous, le désir de lier votre passion du théâtre et de l'humain. C'est très touchant.

M. : Merci à vous.

                                                                                                                                Propos recueillis par Nathalie Guimier
                                                                                                                                Critique cinéma littérature musique théâtre
                                                                                                                                Auteure


"Moins 2 " : Représentations au Théâtre Hébertot (Paris) jusqu'au 06/12/2015

Lien  pour voir le teaser de la pièce : https://www.youtube.com/watch?v=GfG2umuoElU


Natalie Guimier- Auteur et critique cinéma, littérature musique et théâtre
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